Trump, Macron : même combat

Publié le par Dynamique Citoyenne

La chronique de Thomas Piketty dans Le Monde du 10 décembre 2017

On a coutume d'opposer Trump et Macron : d'un côté, le vulgaire businessman américain, aux Tweet xénophobes et -climatosceptiques ; de l'autre, l'esprit européen éclairé, soucieux de  dialogue des cultures et de développement durable. Tout cela n'est pas entièrement faux et est, de surcroît, bien agréable pour nos oreilles françaises. Mais si l'on regarde de plus près les politiques menées, on est frappé par les similitudes. Trump comme Macron viennent de faire adopter des réformes fiscales extrêmement proches, et qui, dans les deux cas, constituent une incroyable fuite en avant dans le mouvement de dumping fiscal en faveur des plus riches et des plus mobiles.

Récapitulons. Aux Etats-Unis, le Sénat a validé les grandes lignes du plan Trump : le taux de l'impôt fédéral sur les bénéfices des so-ciétés sera réduit de 35  % à 20  % (avec, en outre, une amnistie qua-si complète pour les profits ra-patriés des multinationales) ; un taux réduit d'environ 25  % va être institué pour les revenus des propriétaires de sociétés (en lieu et place du taux supérieur de l'impôt sur le revenu de 40  % applicable aux plus hauts salaires) ; et l'impôt sur les successions va être fortement réduit pour les plus hautes fortunes (et même totalement supprimé dans la version adoptée par la Chambre).

Voici ce que cela donne du côté de Macron et de la France : le taux de l'impôt sur les sociétés va être réduit graduellement de 33  % à 25  % ; un taux réduit de 30  % va être institué pour les dividendes et intérêts (en lieu et place du taux de 55  % applicable aux plus hauts salaires) ; et l'impôt sur la fortune va être supprimé pour les plus hauts patrimoines financiers et immobiliers (alors que la taxe foncière n'a jamais été aussi lourde pour les moins riches).

Pour la première fois depuis l'Ancien Régime, on décide ainsi d'instituer dans les deux pays un régime fiscal explicitement dérogatoire pour les catégories de revenus et de patrimoines détenues par les groupes sociaux les plus -favorisés. Avec, à chaque fois, un argument supposé imparable : la masse des contribuables captifs et immobiles n'a d'autre choix que de bien traiter les plus riches, faute de quoi ces derniers auront tôt fait de quitter le territoire et de ne plus les faire bénéficier de leurs bienfaits (emplois, investissements et autres idées géniales inaccessibles au commun). " Job creators " pour Trump, " premiers de cordée " pour Macron : les mots varient pour désigner ces nouveaux bienfaiteurs que les masses doivent chérir, mais le fond est le même.

Trump comme Macron sont sans doute sincères. Il n'en reste pas moins qu'ils témoignent tous deux d'une profonde incompréhension des défis inégalitaires posés par la mondialisation. Ils re-fusent de prendre en compte des faits qui sont pourtant bien documentés, à savoir que les groupes qu'ils favorisent sont déjà ceux qui ont accaparé une part démesurée de la croissance des dernières décennies.

En niant cette réalité, ils nous font courir trois risques majeurs. Au sein des pays riches, le sentiment d'abandon des classes populaires nourrit une attitude de rejet vis-à-vis de la mondialisation, et de l'immigration en particulier. Trump s'en sort en flattant la xénophobie de ses électeurs, alors que Macron espère se maintenir au pouvoir en misant sur l'attachement majoritaire de l'opinion française à la tolérance et l'ouverture, et en rejetant ses opposants dans l'antimondialisme. Mais en réalité, cette évolution est lourde de menaces pour l'avenir, en Ohio et en Louisiane comme en France ou en Suède.

Inégalités et défi climatique

Ensuite, le refus de s'attaquer aux inégalités complique considérablement la résolution du défi climatique. Comme l'a bien montré Lucas Chancel (Insoutenables inégalités, Les  Petits Matins, 184  pages, 16  euros), les ajustements considérables des modes de vie exigés par le réchauffement ne pourront être acceptés que si l'on garantit une répartition équitable des efforts. Si les plus riches continuent de polluer la planète avec leurs 4  ×  4 et leurs yachts immatriculés à Malte (exemptés de tout impôt, y compris de TVA, comme les " Paradise Papers " viennent de le démontrer), alors pourquoi les plus pauvres accepteraient-ils la hausse par ailleurs nécessaire de la taxe carbone ?

Enfin, le refus de corriger les tendances inégalitaires de la mondialisation a des conséquences très néfastes sur notre capacité à rédui-re la pauvreté mondiale. Les prévisions inédites qui seront publiées le 14  décembre dans le rapport sur les inégalités mondiales sont claires : suivant les politiques et les trajectoires inégalitaires choisies, les conditions de vie de la moitié la plus défavorisée de la planète suivront des évolutions totalement différentes d'ici à 2050.

Terminons sur une note optimiste : sur le papier, Macron défend une approche des coopé-rations internationales et européennes qui est évidemment plus prometteuse que l'unilatéralisme de Trump. La question est de savoir quand nous sortirons de la théorie et de l'hypocrisie. Le CETA, le traité conclu entre l'Union européenne et le Canada quelques mois après l'accord de Paris, ne contient par exemple aucune mesure contraignante sur le climat et  la justice fiscale.

Quant aux prétendues propositions françaises de réforme de l'Europe, qui font frémir de fierté nos oreilles hexagonales, la vérité est qu'elles sont totalement floues : on ne sait toujours pas quelle sera la composition du Parlement de la zone euro ni quels seront ses pouvoirs (de -menus détails, sans doute). Le risque est grand que tout cela aboutisse à du vide. Pour éviter que le rêve macronien ne débouche sur le cauchemar trumpiste, il est temps d'abandonner les petites satisfactions nationalistes et de se pencher sur les faits.

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