Un peu de courage messieurs !

Publié le par Dynamique Citoyenne

Un peu de courage messieurs !

Le sénat vient de supprimer un article de loi visant à lutter contre le harcèlement sexiste dans les transports. Décidément, certains de ces messieurs ont du mal à réaliser qu'ils représentent aussi l'autre moitié de la population...

En 2015, les français ont enfin connu la première action publique d’envergure nationale pour lutter contre le harcèlement sexiste dans les transports. Pour beaucoup de femmes, ceci fait malheureusement partie du quotidien. Mais pour beaucoup trop d’autres personnes, le harcèlement sexiste dans la rue et les transports reste encore une sorte de légende urbaine. Et c’est en partie parce qu’on ne dispose pas de chiffres éloquents sur le nombre de victimes concernées par ces agressions permanentes.

Il y a bien eu l’étude du Haut Conseil à l’Égalité entre les Hommes et les Femmes, selon laquelle « 100% des femmes ont déjà été victimes de harcèlement dans l’espace public », mais l’échantillon considéré ne permet guère d’exploiter ce chiffre autrement que pour secouer les consciences.

Visiblement, certains sénateurs n’ont pas eu l’info. En effet, ils viennent de supprimer tout un article qui visait précisément à recenser ces agressions particulières d’une part, et à former les personnels de sécurité à la prévention et l’interpellation des agresseurs, à l’accueil et à la prise en charge des victimes d’autre part.

Marie Le Vern, députée de Seine-Maritime, responsable du groupe Socialiste Républicain et Citoyen, a formulé une proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs. Membre de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, elle a travaillé à la préparation de ce texte. C’est elle qui y a fait insérer deux amendements, soutenus par la délégation des droits des femmes à l’Assemblée Nationale, devenus l’article 14 du texte provisoire.

« De nombreuses associations, ainsi que les pouvoirs publics, n’ont pas de données chiffrées concernant ces harcèlements sexistes dans les transports, commente-t-elle. La première mesure viserait donc à demander aux transporteurs privés (RATP, SNCF, etc) de recenser les atteintes commises, et surtout, de préciser le contenu de leurs actions dans la lutte contre les harcèlements sexistes. »
Mesurer concrètement l’ampleur du phénomène qu’on vise à éradiquer est nécessaire pour évaluer l’efficacité des actions mises en place pour lutter contre ce phénomène… D’où le besoin de connaître également précisément quels types d’actions sont déployées. Et au passage, récolter ces données aurait une autre utilité: « Ça permettrait de prouver la réalité de ces agissements, parce qu’il y a encore des personnes qui en doutent », insiste la députée. Visiblement ceux qui doutent ne sont pas ceux qui sont victimes. Le texte de loi prévoyait également de former des services internes de sécurité qui interviennent dans les transports à ce problème. Cet article 14 a été validé par la Commission, et adopté en première lecture à l’Assemblée Nationale, le 17 décembre 2015. Aujourd’hui c’est au tour du Sénat de se prononcer sur le texte, et c’est un tout autre son de cloche qui sort alors de la Commission jumelle, au Palais du Luxembourg : l’article 14 est purement et simplement supprimé dans la version adoptée par le Sénat le 28 janvier 2016.

La Commission motive cette décision en arguant que le harcèlement sexiste « semble se distinguer des actes de délinquance, alors même que le harcèlement sexuel est un délit », donc il est déjà pris en compte par la loi. «Ce délit est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. », rappelle la Commission à propos du harcèlement sexuel.
Et l’on constate toutes au quotidien l’effroyable efficacité des dispositions déjà existantes, n’est-ce pas ! Pas besoin de créer une disposition législative visant à mesurer concrètement la réalité du harcèlement sexiste, il est déjà compris dans les « actes de délinquance ! » Messieurs les sénateurs, si seulement ces dispositions permettaient réellement de lutter contre le harcèlement sexiste, nous n’aurions pas besoin de chercher à en mesurer l’étendue. Les femmes ne seraient pas aussi nombreuses à en être victimes, au quotidien.

Mais à propos de l’obligation de reporter ces événements, de spécifier le contenu des actions de prévention, ainsi que de dispenser des formations au sein des sociétés de transport, la Commission répond que cela « relève du domaine règlementaire ». En d’autres termes, ce n’est pas au législateur de prévoir ces mesures. L’article 14 n’a donc même pas été discuté en séance publique. La députée Marie Le Vern a dénoncé cet abandon du Sénat « qui a balayé ça sans argument sur le fond, mais avec des arguments juridico- techniques, alors même que les services de l’Assemblée Nationale n’ont pas fait la même analyse juridique. »

Ces dispositions introduisaient une contrainte économique pour le privé : celle de déployer des actions concrètes, d’en rendre compte, de former leur personnel. Ce dont la députée avait discuté en amont avec les représentants des sociétés concernées : « Cette contrainte économique était parfaitement acceptée, affirme-t-elle. J’ai auditionné la SNCF, la RATP, les autorités de transport en province : toutes avaient accepté le principe de cet article. C’était une victoire, et c’était une victoire aussi d’en obtenir l’adoption à l’Assemblée Nationale. Quand bien même certaines dispositions seraient du domaine réglementaire, ce ne serait pas la première fois que l’on laisserait le Conseil Constitutionnel faire le ménage dans le texte final. Si on veut vraiment lutter contre le harcèlement, on valide le texte, même si on pense qu’au final, certaines dispositions seront déclassées. Mes interlocuteurs au sein des sociétés de transports soutenaient ces mesures. »

Messieurs les sénateurs, ça fait déjà deux fois en quelques mois à peine qu’on est obligées de vous rappeler que vous représentez aussi les quelques 51% de femmes qui composent la société française. Vous savez, toutes ces personnes pour qui les protections hygiéniques sont bel et bien des produits de première nécessité !

Nous n’avons pas toujours les moyens tangibles de prouver que le harcèlement sexiste dans les transports existe, qu’il affecte beaucoup trop de femmes et bien trop souvent. Et même lorsqu’on arrive à prendre l’agresseur en flagrant délit, c’est encore la victime qui se fait insulter. Parce qu’elle est toujours trop apprêtée, pas assez couverte, et toute la litanie d’injonctions contradictoires qu’on sert sans arrêt aux femmes victimes de harcèlement.

Vous vous prononcez sur une « proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs ». Si vous refusez de nommer les violences dont sont victimes les femmes, si vous refusez de reconnaître leur existence, nous ne pouvons qu’abonder dans le sens de la députée Marie Le Vern: « En les évacuant purement et simplement du texte, vous contribuez à renforcer l’invisibilité de ces actes, et retardez encore un peu plus la prise de conscience. »

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